Par Brigitte Le Borgne

18 octobre 2018

L’histoire se déroule dans une PME industrielle française en forte croissance, qui vient de réaliser deux acquisitions et en projette deux autres pour l’année 2019. Elle prévoit aussi à court terme de faire évoluer le business model de ces cibles.

 

A l’occasion d’un échange exploratoire avec le Président, je faisais remarquer:

  • L’ampleur de la transformation à mener;
  • Le nombre important de projets ouverts en même temps (outre les acquisitions), la dispersion et la charge de travail que cela pouvait occasionner pour les équipes.

 

Sa réponse fut la suivante : « vous avez raison, mais de toute façon ce n’est pas moi qui m’occupe de l’exécution, c’est mon bras droit. »

Ce n’est pas moi qui m’occupe de l’exécution, c’est mon bras droit.

 

Deux semaines plus tard, ce DGA expliquait à son tour, sur l’effort de transformation:

« Nous préparons l’avenir en mutualisant certaines fonctions support et venons d’annoncer cette décision à effet immédiat. »

« En outre, pour améliorer le fonctionnement du Comité de Direction, nous nous sommes fait aider d’un consultant pendant trois jours, on s’est dit les choses franchement et tout est maintenant résolu. »

 

A propos de l’inventaire des nombreux projets ouverts et de la charge pour les collaborateurs-clés que nous avions identifiés, le Président et moi-même, celui-ci ajoutait que ceci n’avait pu être réalisé, parce que « personne n’a le temps de le faire ».

 

Pensez-vous vraisemblable  que dans cette entreprise, la mise en oeuvre de la stratégie soit conforme aux attentes du Président et des actionnaires pour l’année à venir?  

 

L’idée reçue de beaucoup de dirigeants à propos de l’exécution, est de considérer qu’elle relève de la tactique, donc qu’elle peut être déléguée.

 

Si l’élaboration de la vision et l’articulation d’une stratégie – qui doit être simple, communiquée largement et revue fréquemment – relèvent bien sûr de la direction générale, en interaction avec le Conseil d’Administration, l’exécution de cette stratégie est tout aussi fondamentale pour le devenir de l’entreprise : une exécution qui dérive du cap obère à coup sûr les capacités de développement de cette dernière et fragilise sa pérennité (la création de valeur de la stratégie est réduite de -40% par des défauts d’exécution, selon les dirigeants eux-mêmes).

 

Pourquoi l’exécution de la stratégie est-elle une responsabilité première du dirigeant, et en quoi consiste-elle?

Il ne s’agit pas de pratiquer le micro-management ou de déresponsabiliser les managers.

En revanche, il importe que le dirigeant instaure dès le départ un mode et des rituels de dialogue rigoureux et transparent avec les équipes, interrogeant systématiquement le ‘comment’ et le ‘quoi’ d’une décision, suivant rigoureusement la mise en œuvre de celle-ci et veillant à la responsabilisation des collaborateurs quant au résultat.

 

  • En ce sens, le dispositif d’exécution fait partie intégrante du ‘management système’ de l’entreprise (au même titre que le processus budgétaire, la revue de performance, la gouvernance des projets, etc…) et même de sa culture.
  • A cet égard, il constitue un outil qui permet progressivement un changement de comportement des managers, grâce à l’effet d’exemplarité venant du dirigeant.
  • Il permet également aux collaborateurs d’exercer une pression du dessous sur les managers, afin que ces derniers clarifient les priorités à leur niveau et ouvrent à leur tour le dialogue.
  • Enfin, il apporte aux directeurs d’unité ou de département une vision globale de l’entreprise, très formatrice et génératrice d’engagement vis à vis du projet stratégique.

 

Or, selon un rapport de l’institut Gallup publié début 2018, seuls 6% des salariés français se déclarent engagés (c’est-à-dire enthousiastes vis-à-vis de leur travail et attachés à l’entreprise), alors que la moyenne en Europe occidentale s’établit à 10%.

L’institut a par ailleurs évalué (tous pays confondus) l’impact de l’engagement sur la performance financière, entre le quartile d’entreprises les plus performantes et celui dont le taux d’engagement est le plus bas, à -21% de profitabilité.

 

Les sept caractéristiques d’un dirigeant d’excellence en exécution

  1. Il connait tous les collaborateurs-clés de l’entreprise, même s’ils ne lui reportent pas directement, et s’attache à développer une relation personnelle avec chacun d’entre eux. Il consacre une partie significative de son temps à leur recrutement et à leur montée en compétences.
  2. Le dialogue transparent qu’il établit avec les équipes lui permet d’appréhender finement la réalité du terrain. Il mesure ainsi la performance de l’entreprise, non pas (seulement) vis-à-vis de l’année passée, mais aussi et surtout par rapport à l’évolution de son environnement concurrentiel. De même, la démarche économique qu’il mène naturellement, lui permet de faire évoluer la stratégie en continu.
  3. Le dirigeant qui pilote l’exécution de la stratégie se concentre sur quelques priorités claires, dans lesquelles chaque collaborateur peut s’inscrire facilement.
  4. Il effectue un suivi rigoureux et systématique des étapes et des actions et s’assure que chacun des contributeurs a tenu ses engagements. A cet effet, il n’hésite pas faire émerger des conflits qui pourraient compromettre les résultats attendus.
  5. Il évalue et récompense les collaborateurs sur leurs résultats, en appréciant le contexte dans lequel ils ont été obtenus (ou non). Il fait évoluer en responsabilité ceux qui, comme lui, se focalisent sur l’exécution.
  6. Il observe le comportement et la performance des équipes, et leur procure un feedback sur les points positifs, mais aussi sur ceux nécessitant une évolution. Il reconnait que les bons performeurs dont le comportement est inapproprié, ont in fine une influence négative sur les résultats de l’entreprise, et qu’il faut s’en séparer sans tarder.
  7. Enfin, ce dirigeant encourage les points de vue différents du sien et traite les situations de conflit ou de sous-performance avec courage. Ce trait de personnalité lui permet d’appréhender toute l’ambiguïté inhérente à une organisation en évolution rapide au sein d’un écosystème volatile, incertain, complexe et ambigu.

 

A la lumière des caractéristiques de leadership que nous venons d’exposer, en quoi votre opinion sur l’aptitude à l’exécution de la PME a-t-il évolué?


Références et définitions

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  • Execution, the discipline of getting things done, Larry Bossidy & Ram Charan, Currency New-York, 278 p.


Merci de votre intérêt pour cet article.