Par Brigitte Le Borgne

25 juillet 2019

Lors de missions de conseil, nous avons fait connaissance avec deux Présidents d’ETI françaises. Le premier d’entre eux, représentant de la deuxième génération familiale, se préparait à transmettre à moyen terme à ses enfants ; le second, fondateur de l’entreprise, qui avait choisi d’ouvrir son capital à un fonds d’investissement.

Il était frappant de constater l’étendue de l’implication opérationnelle de ces dirigeants et le nombre très important de collaborateurs qui leur reportaient directement.

Dans l’un des cas, il existait depuis très peu de temps un Comité de Direction, dans lequel les fonctions support n’étaient pas représentées, dans l’autre, il n’en était pas question.

 

Il est donc paradoxal de constater que 3 dirigeants Français sur 4 expriment le besoin d’être plus et/ou mieux entourés. Plus que le partage du capital, il s’avère que c’est le partage de la direction, avec une réelle répartition de la responsabilité, qui permet le mieux de réduire le sentiment d’isolement du dirigeant (1).

 

Pour comprendre ce paradoxe, il est nécessaire de revenir sur les évolutions d’organisation que traverse une entreprise au cours de son développement.

 

Impact sur l’organisation des étapes de la croissance

Pour Larry E. Greiner (2), expert en management et organisation, une entreprise évolue selon 5 stades d’organisation:

  1. Au premier stade, une jeune entreprise concentre son énergie sur la mise sur le marché de produits et/ou services pour sa cible de clients : c’est la phase de créativité. La communication entre le fondateur et les équipes est alors informelle.
  2. Puis, en phase de « scaling-up », l’entreprise cherche à améliorer son efficience et sécuriser ses ressources financières. L’effectif augmente, ce qui contraint le fondateur à formaliser davantage la communication interne.
  3. Progressivement, l’entreprise grossit en taille et atteint une relative complexité, générant pour le fondateur de nouveaux sujets variés à traiter – notamment le management de ses équipes – qui le détournent de son cœur de métier et ses aspirations profondes. Cette situation amène le fondateur à mettre en place une première organisation par fonction, voire à recruter un directeur général : c’est la phase de direction.
  4. Cependant, les nouvelles recrues ont besoin d’autonomie pour nourrir leur engagement dans le projet de l’entreprise. En parallèle, la croissance de l’entreprise contraint progressivement le dirigeant à diriger par exception et déléguer les tâches courantes à ses managers : c’est l’étape de délégation.
  5. Celle-ci s’accompagne alors d’une phase de structuration de la gouvernance de l’entreprise, avec la mise en place d’un Comité de direction.

 

Les exemples choisis illustrent bien en quoi le passage des phases 3 à 4 et 5 est difficile pour le Président, tiraillé entre le besoin – émotionnel – de garder le contrôle et de tenir le cap des succès passés, et la volonté – rationnelle – de préparer le futur.

D’autant que le dirigeant-fondateur s’est entouré pour cela de managers de valeur, qui aspirent à jouer un rôle plus important dans le devenir dans l’entreprise, et peuvent être amenés à questionner son mode de leadership.

 

Avantages du Comité de Direction

Le Comité de direction permet au dirigeant, sur-sollicité par des sujets d’importance variable, de se concentrer sur ceux qui sont véritablement créateurs de valeur pour l’entreprise : le déploiement de la feuille de route stratégique, aussi appelé « business plan ».

Encore faut-il que le dirigeant ait formalisé sa vision et embarqué son équipe dans le projet d’entreprise.

Or le projet d’entreprise implique nécessairement des changements, qu’ils soient industriels, organisationnels, ou même culturels (c’est le cas de tout développement à l’international).

 

Pour qu’un changement réussisse, il faut, selon John Kotter (3), que la quasi-totalité des dirigeants et 75% des cadres soient convaincus de son absolue nécessité.

Le Comité de direction peut ainsi permettre au Président de constituer la coalition directrice des transformations qu’il impulse.

 

Enfin, mettre en place un Comité de direction, où informations, analyses et prise de décision sont partagées, permet de développer l’agilité et la capacité d’anticipation de l’entreprise, en luttant contre certains biais:

  • A la condition d’accepter d’être « challengé » sur ses idées, le dirigeant est par là même mieux armé contre le biais de confirmation (le fait d’accorder plus de valeur à une preuve qui conforte une croyance, qu’à celle en contradiction avec cette dernière)
  • De même, s’il prend soin de recruter des profils diversifiés et des personnalités affirmées, il peut ainsi lutter contre le biais de la pensée de groupe (recherche absolue de consensus, au détriment d’une évaluation lucide de solutions alternatives).

 

Rajoutons enfin que pour ses membres, le Comité de direction offre l’énorme avantage de leur donner une vision globale de l’entreprise et éclairer leur apport à l’exécution de la stratégie, ce qui est déterminant dans leur engagement personnel vis-à-vis du projet.

 

Comment s’y prendre? Quelques clés du succès

Deux chercheurs de l’Université de Berkeley (4) ont démontré que des dirigeants qui travaillent en groupe, fonctionnent moins bien que des groupes de collaborateurs subalternes : ils sont moins créatifs, rencontrent des difficultés à se mettre d’accord lors de négociations et ont une relation plus conflictuelle. Les groupes de dirigeants sont plus individualistes et partagent moins facilement l’information.

En revanche, de tels groupes sont plus performants s’ils travaillent sur des sujets qui nécessitent peu de coordination : ils s’avèrent alors plus créatifs et tenaces pour la résolution de problèmes.

 

Ces experts recommandent ainsi au dirigeant de structurer l’agenda et les processus décisionnels de son Comité de direction:

  • Agenda prédéfini
  • Avant toute prise de décision, partage de l’information et écoute de tous les points de vue en présence

En pratique, nous recommandons pour un fonctionnement optimal du Comité de direction d’en limiter le nombre de participants à 7 dans l’idéal, 10 étant la limite acceptable.

Dans ce but, il est important aussi de préciser aux membres, quels sont les objectifs fondamentaux d’un Comité de direction:

  • Partager certaines informations – nous verrons plus loin lesquelles;
  • Prendre des décisions communes sur des sujets intéressant le développement et la durabilité de l’entreprise;
  • Assigner des responsabilités de mise en œuvre d’un projet particulier.

Seuls les managers dont l’impact sur l’atteinte de ces objectifs est déterminant ont vocation à faire partie du Comité de direction de manière permanente.

Pour que le Comité de direction reste efficient, son agenda doit être régulièrement élagué des sujets obsolètes ou pouvant être traités individuellement. En particulier, il est contre-productif d’allouer du temps au partage d’informations par ailleurs accessibles ou qui ne nécessitent pas de commentaire pour en comprendre la substance.

Nous insistons sur ce point, car dans beaucoup de Comités de direction, certains sujets font partie de « rituels », sans valeur ajoutée pour cette instance. Ceci est d’autant plus important que la durée du Comité de direction influe directement sur le degré d’attention de ses participants. A cet égard, ½ journée nous semble être la limite d’une bonne efficacité.

En revanche, le Comité de direction peut être le lieu de revue d’avancement des projets en cours de déploiement (lancement d’une nouvelle gamme de produits, acquisition, réorganisation, refonte des systèmes d’information, etc…), et de partage de retour d’expérience des projets terminés, s’il n’existe pas de gouvernance ad hoc des projets.

Nous recommandons toutefois de mettre en place une instance spécifique de pilotage pour un projet de longue durée, qui réunisse uniquement les managers directement concernés.

Enfin, le rôle du Président de séance tenu par le dirigeant est fondamental : il consiste à assister le groupe à prendre les orientations ou décisions les plus éclairées, de la façon la plus productive possible et de les faire accepter par tous, même si certains membres n’y adhèrent pas à priori.

Il est donc important qu’il soit sensibilisé aux difficultés de fonctionnement des groupes de pouvoir, car il est le garant de la contribution de chacun et du respect mutuel au sein du groupe.

 


Références et définitions

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  1. Vaincre les solitudes du dirigeant, BPIFrance – Le Lab
  2. Evolution and Revolution as Organizations Grows, Harvard Business Review, 1998, Larry E. Greiner
  3. Conduire le changement, feuille de route en 8 étapes, John Kotter, Pearson Editions, French version, 2015
  4. Failure at the top: how power undermines collaborative performance, John Angus D. Hildreth and Cameron Anderson, Institute for Research on Labor and Employment, 2016

Merci de votre intérêt pour cet article.